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Bienvenue dans mon petit monde. Je dédie ce blog à tous ceux qui, comme moi, aimeraient que tout commence par " il était une fois...". De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, dit-on. Certes, mais il n'est pas aisé à accomplir. Et à quoi servirait d'écrire si ce n'était que pour soi ? Alors, je vous propose de venir découvrir des extraits de mes livres, mes nouvelles et mes poèmes. Humour, tragédie, Fantasy, j'espère que vous trouverez un univers qui vous correspond. Et n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire. SOPHIE

L'ORCHIDEE ET LE PISSENLIT

L'ORCHIDEE ET LE PISSENLIT

Je croyais que les choses étaient immuables : on nait, on vit avec insouciance au fil des saisons puis, lorsque notre heure est venue –le plus tard possible- on s’éteint doucement.

J’ai vu le jour au cœur d’une belle et vaste prairie du sud de la France, un vert pâturage idyllique  bénéficiant d’une vue imprenable sur la Chaîne des Pyrénées…

Avec mes innombrables sœurs, nous pointions le bout du nez dès le retour de la belle saison et ornions joyeusement notre Eden de nos belles couleurs, offrant nos délicats pétales à la caresse du vent.

J’appartiens à la grande famille des Orchidées. Cela vous pose une fleur des champs,  tout de même !

Des humains venaient d’ailleurs régulièrement nous admirer. Ils faisaient bien attention à ne pas nous piétiner, commentant à qui mieux-mieux nos tenues printemps-été, s’émerveillant de notre beauté exotique. Je ne voudrais pas paraître vaniteuse, mais j’avais un succès fou auprès des photographes amateurs ! Ma robe d’un violet profond et finement dentelée en a fait chavirer plus d’un !

Bref, nous avions, mes sœurs et moi, une vie de rêve, enfin une vie de rêve pour de fragiles fleurs sauvages.

Je croyais que les choses étaient immuables…

Je me trompais lourdement.

Un jour funeste, tout a basculé : des hommes sont venus, mais ce n’était plus nos gentils touristes botanistes. Il y avait là des géomètres, des arpenteurs, des architectes… Plus de photographes respectueux, plus aucune attention portée aux habitantes de la prairie et encore moins d’égards. Beaucoup d’entre nous ont été molestées par des semelles sans pitié. Toute la communauté florale était en émoi. Chaque fleur se dressait sur sa tige, non plus pour se faire remarquer et admirer, mais par indignation devant le comportement de ces barbares !

Ils repartirent enfin. Nous étions à peine remises de nos blessures que le danger réapparut, cette fois sous la forme de bulldozers, ces crabes terrestres géants et destructeurs. Des familles entières furent brutalement décimées sous mes yeux, mes sœurs orchidées bien sûr, mais aussi des pâquerettes, des iris, des colchiques…

C’était la fin du monde, la fin de mon monde !

Deux jours plus tard, la prairie était méconnaissable avec sa terre crûment mise à nue, ses entrailles noires exhibées au soleil. Par miracle, j’avais été épargnée. Un tout petit carré de verdure avait été oublié par les engins de mort. Pour la première fois de mon existence, je me retrouvais seule, orpheline. Je finis par me rendre compte que, non loin de moi, une jeune fleur de pissenlit avait aussi échappé à la mort. D’habitude, les fleurs de pissenlit et les orchidées ne s’adressent pas la parole. Les modestes tenues jaunes de ces rustiques campagnardes sont l’objet de nos quolibets et elles moquent notre fragilité éthérée. Aussi, nous nous ignorons avec superbe depuis la nuit des temps. Toutefois, nous étions deux miraculées et je décidai que le temps de la vanité était désormais révolu. Mes sœurs avaient brutalement été arrachées à leur terre nourricière et je savais bien que je ne les reverrai jamais plus. Fleur de Pissenlit tremblait comme une feuille. Je songeai que, finalement, rustique ou pas, elle avait aussi peur que moi. Et qui sait ce qu’il adviendrait de nous deux,  uniques survivantes d’un massacre perpétué par les hommes ? Après avoir tergiversé, je me décidai enfin à interpeler ma voisine :

- Pour l’instant, tout danger est écarté. Arrête donc de trembler !

Fleur de pissenlit sursauta et se tourna vers moi, stupéfaite que je consente à m’apercevoir de sa présence et, qui plus est, à lui adresser la parole :

- Je ne peux pas m’en empêcher, finit-elle par répondre d’une voix timide. Allons-nous disparaitre nous aussi ?

- Je ne sais pas, répondis-je. Les humains sont si imprévisibles. Un jour, ils nous portent aux nues, le lendemain, ils nous exterminent. Pourtant, nous sommes encore là toutes les deux. Et demain est un autre jour !

Fleur de pissenlit parut méditer mes paroles. Elle finit par se calmer et tendit sa solide tige creuse vers l’endroit où je me trouvais, comme pour chercher du réconfort. Ma première réaction fut de penser qu’elle était sans gêne. Puis, faisant fi des conventions, je me penchai aussi vers elle. C’est ainsi que, serrée l’une contre l’autre, nous attendîmes que la nuit tombe, nous apaisant de sa quiétude.

Les jours suivants,  avec ma compagne d’infortune, nous rattrapâmes tout  ce temps perdu à nous snober : nous évoquâmes la vie d’Avant, quand la prairie était encore un lieu de vie, notre joie lorsque les insectes venaient nous butiner, notre curiosité quand un lapin ou un oiseau passait près de nous. Je découvris alors que, quelle que soit la couleur d’une fleur, qu’importe la famille à laquelle elle appartient, elle ressent les mêmes sensations, éprouve des sentiments, souffre de la même façon que les autres fleurs. Ce fut une révélation ! Fleur de Pissenlit devint plus chère encore pour moi. Elle avait une âme simple et s’attacha à moi en retour.  Quand elle se transforma en tête ébouriffée de petites aigrettes blanchâtres, je fus d’abord un peu surprise, mais elle m’expliqua que c’était ainsi qu’elle évoluait.

Les premiers frimas arrivèrent sans que rien ne change autour de nous. Notre petit carré d’herbe, comme une île oubliée en plein océan, ne fut plus visité par les hommes jusqu’au moment du long sommeil hivernal. Mon amie et moi, plongèrent alors dans l’oubli, l’une après l’autre, se jurant de se retrouver aux beaux jours.

Lorsque je m’éveillai à nouveau, le printemps s’annonçait, radieux. Fleur de Pissenlit était toujours là, à mes côtés. J’avais toujours été contente de revoir mes sœurs à mon réveil, mais là, ce fut différent. Découvrir que  Fleur ne m’avait pas été enlevée fut un réconfort inédit, nous avions traversé la même épreuve et je me sentais plus forte avec elle. Comme moi, elle n’en était qu’aux prémices de sa croissance, mais j’adorais l’idée que nous grandirions ensemble. Et de fait, nos tiges s’élevèrent de concert et parfois le vent faisait que nos pétales se touchaient, ce qui nous faisait rire aux éclats. Mais, lorsque nous pensâmes à regarder autour de nous, nous poussâmes des exclamations consternés : de gigantesques carrés de béton avaient poussé avec les beaux jours,  des humains et leurs engins s’activaient tout autour de nous. Allaient-ils nous faire du mal ? La prairie, de champs de bataille avait été transformée en un grand chantier de construction mais, par chance, notre carré d’herbe ne fut pas inquiété.

L’été arriva et, avec lui, d’autres hommes encore,  qui investirent les lieux. Des familles entières d’humains –grands et petits- prirent racine en lieu et place des milliers de fleurs exterminées. Ils en plantèrent d’autres que je n’avais jamais vues. Des palissades aux formes raides délimitèrent en portions congrues ce qui avait été un grand espace libre. Notre petit carré se trouva bientôt au centre de l’un de ces espaces fermés. Un petit humain fit un jour son apparition dans notre champ de vision. Il tendit ses doigts vers Fleur de Pissenlit. Il voulait l’arracher ! Je tentai de faire rempart de ma tige, consciente qu’il allait me cueillir, moi aussi. Tant pis, plutôt mourir que de rester seule sans mon amie ! Soudain une humaine s’interposa : je ne compris pas ce qu’elle disait bien sûr, mais je suis sûre qu’elle venait de nous sauver la vie. Elle nous frôla d’une main tendre l'une après l'autre : Fleur de Pissenlit d'abord, puis moi. Elle vint ensuite chaque jour passer un moment à nous contempler, nous parlant avec douceur.

Fleur de Pissenlit et moi-même sommes aujourd’hui les Reines du jardin d’une famille d’humains aussi respectueux que l’étaient nos touristes botanistes et photographes amateurs de jadis. Nous parlons souvent du passé, mais…

… je croyais que les choses étaient immuables. 

Notre belle prairie n’existe plus et nos sœurs ne reviendront plus.

La Chaîne des Pyrénées, seule semble inaltérable. Mais pour combien de temps encore ?

 

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M
Je lis régulièrement vos nouvelles et j’aime bien.
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M
Bonjour, le béton s"étend toujours !
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