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Bienvenue dans mon petit monde. Je dédie ce blog à tous ceux qui, comme moi, aimeraient que tout commence par " il était une fois...". De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, dit-on. Certes, mais il n'est pas aisé à accomplir. Et à quoi servirait d'écrire si ce n'était que pour soi ? Alors, je vous propose de venir découvrir des extraits de mes livres, mes nouvelles et mes poèmes. Humour, tragédie, Fantasy, j'espère que vous trouverez un univers qui vous correspond. Et n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire. SOPHIE

LA PHOTOGRAPHIE

LA PHOTOGRAPHIE

LA PHOTOGRAPHIE

Tout commence par un coup de fil, un soir d’avril 2009 un peu après 20 heures. Une voix de femme demande :

- Je suis bien chez Lisbeth Lenoir qui a fréquenté la Fac des Sarments en 1989 ?

Je marque un temps d’arrêt avant d’acquiescer : mon prénom est en réalité Elisabeth. Le diminutif, le nom de l’université, ainsi que l’année évoquée éveillent en moi une émotion singulière. Je m’entends murmurer, le cœur battant :

- Oui, c’est bien moi.

La voix à l’autre bout devient nettement chaleureuse :

- Je suis Amandine Pélissier, Amy, tu te souviens ?

Dans un flash, j’entrevois une brunette vive et pétillante. Elle devait fréquenter le même cours de Droit que moi. Etions-nous proches à l’époque ? Je n’en ai pas le souvenir. Que peut-elle donc vouloir après tant de temps ? Mon interlocutrice s’empresse de combler ma curiosité :

- J’ai retrouvé une vieille photo de la promotion 1989. Cela m’a donné une idée : le 12 juin prochain, j’organise une soirée pour que nous puissions nous retrouver, comme au bon vieux temps. J’ai réussi à joindre tout le monde et tu es la dernière sur la liste… Presque tous seront présents, même ceux qui sont aux quatre coins de l’Hexagone. Notre dîner de retrouvailles aura lieu à Paris au Café Brûlé !

Ce nom aussi m’évoque quelque chose. Je me rappelle vaguement un bar-restaurant où les étudiants avaient l’habitude de se rendre durant les intercours. J’avais sans doute dû le fréquenter, moi aussi.  Ainsi, il existe toujours... J’hésite avant de répondre. Certes, je suis disponible le 12 juin et j’habite la Capitale. Mais ai-je vraiment envie de revoir des personnes qui me sont devenues parfaitement étrangères ? Sans doute que les liens noués alors étaient assez superficiels pour que nous nous soyons perdus de vue. D'ailleurs, mes souvenirs de cette année 1989 restent étonnamment flous. Je sais juste que j’ai fait une année d’études de Droit aux Sarments. J’ai changé d’école ensuite. Et je ne possède, quant à moi,  aucune photographie datant de cette époque. Mais à ma propre surprise, devant l’insistance d’Amandine,  je finis par accepter l’invitation bon gré mal gré.

A la date prévue, j’arrive en retard à cause de bouchons sur le périphérique, mais aussi et surtout, d’une persistante réticence à honorer ce rendez-vous. A plusieurs reprises, j’ai voulu l’annuler et, à chaque fois, je me suis ravisée au dernier moment.  Comme si j’étais partagée entre une sourde angoisse et une curiosité tenaillante.

Maintenant que je suis là, j’essaie de rafraîchir cette mémoire que me fait défaut et  j’examine attentivement le petit bâtiment coincé entre un fleuriste et une épicerie fine : la façade du Café Brûlé a sans doute été rafraîchie et  la pancarte -en forme de tasse surmontée d’une volute de fumée- a peut-être été récemment ajoutée. Toujours est-il, qu’aucune réminiscence de cette année universitaire oubliée ne me transcende. J’entre avec une appréhension grandissante, me demandant  si c’est une bonne idée que de chercher à retrouver un passé qui  ne cesse de me fuir, parce qu’il a  sans doute ses raisons.

Juste à l’entrée,  une immense photographie trône sur un panneau de bois : un groupe de jeunes gens rieurs et insouciants posent devant le Café Brûlé qui, finalement n’a guère changé. Un pan de voile se déchire fugacement dans mon esprit : plusieurs visages me sont familiers. Des prénoms aussi me reviennent. Je scrute chaque physionomie et je suis bien forcée de me rendre à l’évidence : je ne figure pas sur la photo. Pourtant, je suis certaine que ce sont bien des étudiants de cette promotion 1989 à laquelle j’ai appartenu qui sourient à l’objectif.

Je ne me sens pas à ma place. Je me fige, alors qu’un brouhaha de voix enthousiastes s’élève du fond de la salle. Je m’apprête à faire demi-tour, lorsque soudain, une femme apparaît dans le petit hall, s’approche de moi en souriant et me prend la main :

- Lisbeth ! Nous n’attendions plus que toi !

Nathalie ! Je me souviens aussitôt de son prénom et aussi que nous étions inséparables. Nos chemins se sont pourtant séparés. Elle n’a pas changé : toujours mince et blonde comme les blés, avec un sourire plein de fossettes. Je montre la photographie, un peu gênée :

- Amandine s’est souvenue de moi et de mon nom, alors que je ne suis pas sur la photo !

Nathalie me regarde avec surprise :

- Amy ne t’a jamais oubliée, tout comme moi ! Et tu es sur la photo : la quatrième en partant de la gauche au deuxième rang !

J’observe à nouveau la photographie, mais comme je ne manifeste aucune réaction, Nathalie pose un doigt insistant sur l’un des visages que je n’avais pas réussi à  identifier :

- Tiens, regarde, tu es juste là !

Je hausse les épaules :

- Ce n’est pas moi !

Une femme brune en hauts talons vient de nous rejoindre : Amandine, je l’aurais juré. Brune et pétulante. Elle a dû entendre notre échange car, après m’avoir serrée contre elle, elle renchérit :

- Bien sûr que c’est toi, voyons !

Je me tourne à nouveau vers le cliché, perplexe : le photographe, qui a agrandi l’image, a  réussi le tour de force de conserver une netteté suffisante pour  distinguer les détails des traits. Et le visage qui est censé être le mien en 1989 me donne l’impression dérangeante d’appartenir à une parfaite étrangère. Celle-ci est d’ailleurs si remarquablement belle que j’en arrive à me demander si Amandine et Nathalie ne sont pas en train de me faire une très mauvaise plaisanterie : l’ovale du visage est parfait, les yeux brillent avec force et éclat, le sourire est éblouissant, conquérant, irrésistible même. Jusqu’aux cheveux auxquels la photographie donne un lustre superbe. Une vitre renvoie mon propre reflet : une femme pâle, au corps décharné et qui ne peut se déplacer sans l’aide d’une canne. Je me sens soudain proche des larmes et j’amorce un geste en direction de la sortie. Amy échange un regard inquiet avec Nathalie, puis elle reprend avec douceur :

- Tu étais vraiment magnifique ce jour-là ! Les jours qui ont suivi aussi, d’ailleurs ;  tu donnais l’impression de vouloir conquérir le monde.  Nous ne t’avions jamais vue ainsi. Nous avons pensé à un mystérieux amoureux, mais tu refusais de nous dire quoique ce soit.  Puis tu as quitté la Fac, sans prévenir ! Qu’est-il arrivé pour que tu ne répondes à aucune de nos lettres, que tu ne nous donnes aucune nouvelle ?

Les derniers lambeaux du voile d’oubli se délitent alors que je contemple cette autre moi-même, revivant enfin ce que mon esprit avait soigneusement effacé : j’avais alors dix-neuf ans, Nathalie et Amy étaient devenues mes meilleures amies, même si nous ne nous connaissions que depuis quelques mois. Nous faisions partie d’une joyeuse bande d’étudiants qui avait son quartier général au Café Brûlé. J’étais atteinte d’une maladie rare depuis mon adolescence, provoquant des crises douloureuses qui se contentaient alors de seulement creuser mes traits et de me donner un teint hâve. Mais mon espérance de vie était un sujet que les spécialistes abordaient du bout des lèvres ! Je ne l’avais avoué à personne, je parlais de migraines lorsque mon corps me trahissait, j’éludais les questions trop intrusives. Je refusais que l’on me prenne en pitié. Je voulais être comme mes amies, pleine de santé et de vitalité, débordante de projets. Je jouais à aller bien, pensant qu’un jour la maladie se lasserait et abandonnerait la partie.

Le jour le jour où la photo fut prise, mon médecin venait de m’annoncer  que le mal  était totalement endigué. Il parlait de miracle ; je pensais que le verdict, tombé lorsque j’avais quinze ans, était tout simplement erroné et que je l’avais toujours su. Mais ce jour-là a  été comme une nouvelle naissance. La jeune fille sur la photographie était Lisbeth Lenoir, l’image même de la jeunesse invulnérable et magnifique. Celle que j’avais toujours voulu être. Mais c’était une illusion. Une illusion qui dura deux mois en tout et pour tout. Car une récidive sévère vint donner tort au second pronostic du praticien.

Le choc fut si violent que je quittai la Fac des Sarments du jour au lendemain pour m'inscrire dans une autre située en Région Centre, là où personne ne me connaissait et où je pouvais redevenir Elisabeth, celle qui souffrait et n’avait pas d’avenir. Je renvoyais chaque lettre reçue chez mes parents et refusais de répondre au téléphone lorsque Nathalie ou Amandine appelait.

Puis, peu à peu, au fil du temps,  mon inconscient décida d’oublier presque totalement 1989, année à la fois merveilleuse et terrible.

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Depuis cette soirée de retrouvailles, survenue dix ans plus tôt, je revois régulièrement Amandine et Nathalie. Je n’ai plus de secrets pour elle et elles m’appellent désormais Elisabeth.

Lisbeth était une chimère.

Mais la photographie a su fixer un fugace instant d’éternité.

Et elle a permis que nous nous retrouvions.

Mes amies n’avaient jamais perdu l’espoir de me revoir pour comprendre ce qui nous avait séparées.

Aujourd’hui, je vis toujours avec ma maladie mais, grâce aux progrès de la science, je peux espérer devenir une vieille dame.

 

 

 

 

 

 

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