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Bienvenue dans mon petit monde. Je dédie ce blog à tous ceux qui, comme moi, aimeraient que tout commence par " il était une fois...". De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, dit-on. Certes, mais il n'est pas aisé à accomplir. Et à quoi servirait d'écrire si ce n'était que pour soi ? Alors, je vous propose de venir découvrir des extraits de mes livres, mes nouvelles et mes poèmes. Humour, tragédie, Fantasy, j'espère que vous trouverez un univers qui vous correspond. Et n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire. SOPHIE

LE PATIENT NUMERO 13

LE PATIENT NUMERO 13

Je venais de soutenir ma thèse sur la schizophrénie depuis peu lorsque j’obtins enfin l’autorisation administrative -et à ma grande surprise l’accord de l’intéressé-  me permettant de rendre visite au célèbre Patient Numéro 13 de l’hôpital psychiatrique de la ville de B.

L’histoire de cet homme hors du commun avait défrayé la chronique quelques deux ans auparavant : d’une part, parce qu’un assassin en série était du pain béni pour la presse, d’autre part, parce que  les multiples personnalités de ce patient s’accompagnaient d’un changement à la fois physique et comportemental si stupéfiant que même les plus éminents psychiatres étaient pris au dépourvu. L’un d’eux ayant d’ailleurs été blessé par l’une de ses violentes manifestations, le criminel avait été installé dans une cellule hautement sécurisée. Qui plus est, les médecins craignaient qu’il ne passe –en l’espace d’un instant- du paisible et peureux Numéro 1 à celui, autodestructeur et suicidaire Numéro 13 et n’attente à sa propre vie.

Au lieu de lui donner son nom de baptême, Janus Masson, les journalistes -puis au fil du temps-  les praticiens eux-mêmes, avaient fini par ne plus l’appeler que le Patient Numéro 13. De fait, 13 personnalités éminemment différentes avaient été répertoriées chez lui, se réveillant à tour de rôle et au gré des réflexes de protection ou d’agression de leur hôte.

Il existe de multiples formes cliniques de schizophrénie, certaines sont très symptomatiques, d’autres beaucoup plus discrètes et plus répandues. Nous étions donc là devant un cas exceptionnel, ce qui avait nourri mon souhait de rencontrer celui qui était donc, à mes yeux, un extraordinaire sujet d’étude.

Personne n’était autorisé à demeurer seul en sa (ou devrais-je dire en ses) compagnie(s) à cause du dangereux, de l’effrayant numéro 12, assassin sans état d’âme et qui l’avait donc rendu tristement célèbre aux yeux du grand public. Aussi, après les multiples formalités d’usage, je pénétrai enfin –accompagnée d’un solide gardien armé d’un taser-  au sein de l’espace que l’on avait attribué au pensionnaire le plus illustre de l’honorable établissement. La pièce n’était ni plus ni moins qu’un cube soigneusement capitonné d’environ 3 mètres de côté et dans lequel n’avaient été installés que les meubles indispensables au confort rudimentaire de son occupant : un lit, un fauteuil, une table. Masqué par un mur bas, se trouvait tout au fond de la pièce ce qui devait être une salle de bains minimaliste.  Je constatai que tout le mobilier, sans exception, était fixé au sol et qu’une caméra murale mobile surveillait les lieux.

Le vigile se posta à côté de la porte, tandis que je découvrais enfin l’homme pour lequel j’avais accompli un voyage de plus de 450 kilomètres à travers tout le pays. Installé dans le fauteuil, ce dernier  était en pleine lecture du contenu d’un classeur.  Il n’avait pas bougé un cil, comme s’il n’avait pas remarqué que nous étions entrés. Pourtant, le bruit du verrou  électronique qui venait d’être désactivé, ainsi que celui de l’ouverture de la lourde porte blindée avaient été fortement audibles.  Je demeurai immobile et silencieuse, soucieuse de deviner lequel de ses multiples visages le Patient Numéro 13 allait m’offrir. En attendant, je ne me privai pas de l’examiner. Son dossier indiquait qu’il avait 39 ans. Or, les schizophrénies débutent à l’adolescence ou chez l’adulte jeune, c’est-à-dire avant 30 ans. Quand Masson avait-il commencé à perdre son unité psychique ? Cela était très difficile à établir, d’autant plus que l’homme ne coopérait guère depuis son incarcération, donnant plutôt l’impression de jouer au chat à la souris avec tous les thérapeutes qui l’avaient approché. J’étais consciente que je ne dérogerai pas  à la règle.

L’homme était de taille moyenne, le peu que je voyais de lui confortait ce que les photographies renvoyaient : un visage et un physique communs, quelqu’un que personne ne remarquerait au milieu de la foule, Monsieur Tout-le-monde.

Soudain, un bruit léger me fit tressaillir. L’homme avait refermé le classeur papier contenant les pages qu’il lisait et je croisai alors son regard. Plus aucune banalité dans les yeux gris  qui me jaugèrent alors. Ils brillaient d’intelligence et de froideur calculatrice. Soudain, la flamme glacée que je venais de surprendre s’éteignit comme par magie  et l’homme se leva avec une maladresse inattendue, offrant une silhouette plus menue que celle que j’avais appréhendée et tremblante. J’étais bluffée : sans transition, il était passé du Numéro 2, doué et brillant, au Numéro 1, timoré et angoissé.

  • Oh, bonjour, docteur, balbutia-t-il d’une voix timide et nasillarde, l’air gauche, n’osant affronter mon regard.  Je ne vous attendais pas si tôt et, lorsque je lis, je suis un peu distrait ! Veuillez m’excuser !

Je reportai mes yeux sur le classeur qui s’était entrouvert entre les mains maladroites et j’en reconnus aussitôt le contenu. Ainsi, il avait pu avoir accès à mon ouvrage : « la schizophrénie consciente chez les prédateurs ».

- Bonjour Monsieur Masson, répondis-je avec affabilité. Je suis ravie de vous rencontrer enfin. Me permettez-vous d’enregistrer notre entretien ?

L’homme fit un signe d’acquiescement et je m’empressai d’activer mon téléphone portable. Je commençai sans attendre :

 - Je constate que vous vous intéressez à mon travail...

Sans prévenir, la flamme réapparut dans le regard, la silhouette se redressa, s’étoffa, tandis que Janus me gratifiait d’un sourire satisfait, ce  qui me fit alors ajouter :

- …et je suis surprise que vous ayez accepté de recevoir une jeune diplômée sans expérience…

Car, à nouveau,  j’avais affaire à la personnalité Numéro 2,  l’un des aspects les plus passionnants de Janus Masson,  doté d’un esprit vif  et d’un égo surdimensionné. Numéro 2 se rassit avec aisance et c’est d’une voix également assurée, bien plus grave que la précédente qu’il poursuivit :

- Votre thèse est, de loin, la plus intéressante qu’il m’ait été donné de lire. Cette hypothèse que cette  « dysfonction du Moi «  pourrait être autre chose qu’une défense pathologique pour se protéger inconsciemment d’un monde extérieur hostile, m’intrigue au plus haut point. Cela induirait donc que certains schizophrènes pourraient à volonté passer d’une personnalité à l’autre dès lors que cela sert leurs desseins. Vous avez dû faire grincer les dents de vos éminents collègues 

Je souris intérieurement à  l’évocation de la réaction effectivement plus que réservée de certains de mes confrères. Je jouai  le jeu, attentive à conserver Numéro 2 présent le plus longtemps possible et pérorai :

- Je présume que je ne vous apprendrai pas que le mot schizophrénie vient du grec « skhizein » qui signifie perte de l’unité et « phren » qui signifie esprit.  Le résultat de cette perte d’unité psychique est une triple incohérence entre pensée, propos et comportements. Le schizophrène ne construit pas « son monde » en relation avec les autres. Sa pensée se replie sur elle-même dans un fonctionnement de type autistique qui perturbe justement la relation à l’autre. Mais finalement, que sait-on vraiment des nombreux troubles qui menacent l'équilibre mental ? Bien sûr, le point commun entre tous est la perte plus ou moins durable et plus ou moins permanente de contact avec la réalité, l'apparition d'un délire. La dissociation se définit «comme un trouble des fonctions normalement intégrées : l’identité, la mémoire, la conscience et la perception de l’environnement. Mais…

Numéro 2 compléta :

- Mais pourquoi ne pas imaginer que ces troubles ne seraient chez certains que des choix judicieux choisis avec méthode par le sujet…

Tandis que j’opinai, une nouvelle métamorphose s’opéra en Janus en un temps record : le regard se fit dur comme l’acier, la stature sembla s’accroitre prodigieusement, tandis qu’il se relevait, me dominant de toute sa hauteur.

- la représentation de la force, par exemple…

La voix était devenue basse, presque rauque. Les poings  de Masson se resserrèrent telles des masses prêtes à frapper, la bouche se tordit dans un  rictus tel, que je ne pus m’empêcher de reculer. J’avais devant moi le Numéro 12, le meurtrier  d’une dizaine de malheureuses victimes.

Le garde s’approcha, aux aguets, la main sur son arme, prêt à s’en servir. Aussitôt après, une nouvelle transformation eut lieu : la masse corporelle de l’homme sembla se réduire, devenant harmonieuse et bientôt, devant nos yeux ébahis, se dessina la morphologie d’un homme rajeuni, au sourire ravageur, au regard séducteur. Celui-là, c’était le Numéro 4, celui dont la police supposait qu’il avait attiré plusieurs victimes féminines pour les livrer ensuite entre les mains du  cruel Numéro 12.

Je fis alors signe au garde qui reprit tranquillement sa faction à côté de la porte. Numéro 4 me fixa droit dans les yeux. La veulerie du meurtrier, la frayeur du pusillanime, la pédanterie du savant, ces 3 personnalités avait totalement cédé la place à un homme dont le charisme était presque tangible. Il était devenu plus que beau, il était violemment séduisant, attirant et, même prévenue,  je subissais son attrait. Comme je demeurai silencieuse, déstabilisée malgré moi, il interrogea d’une voix devenue de velours, caressante et presque hypnotique :

- Alors, jeune doctoresse, la question est suis-je ou non responsable ? Suis-je un malade mental ou suis-je  pleinement conscient de mes actes ?

Je reculai d’un pas pour me défaire de cette attraction presque surnaturelle et rétorquai :

- Si vous avez lu ma thèse jusqu’au bout, vous savez que j’émets l’hypothèse que de rares schizophrènes sont parfaitement conscients et contrôlent leurs différents « Moi », comme autant de pièces d’un puzzle qui forment ensemble la totale et complexe personnalité de l’être dans lequel ils cohabitent.

Mon vis-à-vis se détourna un bref instant et lorsqu’il reporta à nouveau son regard sur moi, sa physionomie et son maintien avaient de nouveau évolué. Soulagée, de ne plus être sous le joug du dangereux Numéro 4, je découvris le visage fatigué, les épaules voûtées d’un homme aux portes de la vieillesse. Le Numéro 13 venait ainsi de faire son apparition. Des rides de lassitude griffait ce visage que je venais de trouver si attirant, le corps auparavant bien découplé apparaissait amoindri,  les yeux étaient enfoncés dans leurs orbites. J’étais tétanisée. Il s’approcha de moi  et se pencha à mon oreille, sa voix n’était plus qu’un souffle :

- Réveille-toi, tout ceci n’est qu’un rêve, réveille-toi…

J’étouffai un cri et ouvris les yeux.

J’étais dans ma chambre et il faisait encore nuit noire. Le cœur battant, je jetai un coup d’œil à mon réveil : il me restait encore plus de trois heures avant de partir soutenir ma thèse sur la  schizophrénie et le principe de la métamorphose.

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