ENVOL

A ma naissance, j’étais une petite chose fragile d’un vert très tendre, toute repliée sur moi-même, introvertie,  pusillanime même, à l’instar de mes nombreuses sœurs.

Le temps a passé et, peu à peu, sans à-coup, je me suis dépliée, j’ai grandi, grandi jusqu’à me déployer entièrement. En plus de ma taille et de ma forme, ma couleur aussi avait changé : j’avais adopté un beau vert profond et brillant. J’étais toujours délicatement dentelée, mais désormais solide et forte.

Ma foi, je ne me trouvais pas mal du tout !

Puis, le soleil nous a rendu de moins en moins visite et c’est la pluie qui s’est régulièrement invitée. A nouveau, ma teinte s’est modifiée ; vraiment, j’étais devenue à couper le souffle : d’un jaune orangé du plus bel effet !

C’est à ce moment-là que le cours de ma vie a pris un tournant imprévu !

Le vent s’est mis à souffler de plus en plus fort et les gouttes de pluie ont pris plaisir à me fouetter sans beaucoup d’égards. J’étais donc là, morose, à me morfondre languissamment, lorsque – soudain – j’ai senti que je me détachais d’un coup sec.

Allais-je tomber dans la banalité en allant rejoindre la multitude déjà amassée tout en bas ?

Non point. 

Je me suis mise à voltiger joyeusement, montant et descendant au gré des courants primesautiers. J’adorais cela et me laissais porter avec ravissement. C’est ainsi que, par saccades successives – qui me déclenchaient des fous rires inextinguibles – je me suis éloignée de l’allée que je n’avais jamais quittée - jusque-là - pour enfin sortir du lot.

Je me suis dirigée droit sur un jardin d’enfants. L’un d’eux a d’ailleurs tenté de m’attraper au vol, mais une brusque bourrasque m’a fait reprendre de l’altitude, me sauvant de la poigne dodue et sans pitié, qui m’aurait écrasée sans nul doute.

Je suis alors montée si haut que, bientôt, j’ai pu admirer le toit des maisons alentour, puis le village dans son entier, avant de m’en éloigner grâce à nouveau souffle porteur.

Une petite tornade, croisée au détour d’une haie, m’a happée sans crier gare et – pour ma plus grande joie – m’a invitée à la toute première et dernière valse de ma vie. Lorsque la danse a pris fin, j’avais un peu le tournis, mais j’aurais bien aimé continuer le bal !

Je me contentai toutefois de planer tranquillement jusqu’à ce que je parvienne au-dessus d’une prairie verdoyante, où paissaient quelques vaches paisibles. J’ai craint que l’une d’elles ne veuille me croquer mais, par chance,  elles ne me remarquèrent pas et je continuais mon vol hasardeux sans déconvenue.

L'aquilon a fini par tomber… et moi aussi !

J’ai atterri, légère et gracieuse, dans une cour de ferme qui sentait bon le foin mouillé.

Et c’est là qu’une jolie fillette m’a trouvée. Elle a poussé une exclamation de joie en me découvrant et m’a ramassée avec moult précautions. C’était un bon point pour elle !

- Quelle jolie feuille ! s’est-elle alors exclamée, admirative.

Et en plus, elle avait du goût !

Je ne doutais plus d’être arrivée à bon port.

Aujourd’hui, je suis une feuille très âgée, marron et sèche. Je me remémore avec nostalgie mon voyage aventureux et ma jeunesse en me reposant entre les pages d’un livre intitulé : Autant en emporte le vent…

Comments

[Pierre]

Merci Sophie pour ce joli texte à la fois tendre, poétique, joyeux. Je te savais un don pour faire parler les arbres, mais tu fais très bien vivre aussi les simples feuilles !
Amitiés