Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Bienvenue dans mon petit monde. Je dédie ce blog à tous ceux qui, comme moi, aimeraient que tout commence par " il était une fois...". De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, dit-on. Certes, mais il n'est pas aisé à accomplir. Et à quoi servirait d'écrire si ce n'était que pour soi ? Alors, je vous propose de venir découvrir des extraits de mes livres, mes nouvelles et mes poèmes. Humour, tragédie, Fantasy, j'espère que vous trouverez un univers qui vous correspond. Et n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire. SOPHIE

Peindre des fleurs

Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi : je suis le peintre amateur qui a eu quelques petites mésaventures qui ont failli lui coûter son mariage.

Ma femme, Augustine, possède beaucoup de qualités, mais elle considérait que ma passion était devenue trop envahissante, voire carrément dangereuse. Ce qui n’est pas tout à fait faux. Du coup, après l’affaire de la tempête, elle avait  décidé de quitter la maison (je concède que le mobilier et les murs  avaient un peu pâti) et surtout de me quitter, moi !

Heureusement, on ne gomme pas comme ça quarante années de mariage  heureux et, finalement, devant mes prières réitérées, elle m’a accordé une seconde chance. Elle a réintégré le domicile conjugal après que nous ayons eu une conversation sérieuse :

  • Louis, a-t-elle commencé.

Je me prénomme Louis.

  • Louis, plus de peinture pour l’instant !  C’est promis ?

J’ai promis, vous pensez bien ! Parce que l’aime énormément, mon Augustine !

  • Bien !  a-t-elle approuvé, satisfaite. Plus de tournée générale au bar du village, non plus !

C’est vrai que j’ai tendance à ne pas savoir refuser un petit verre, mais je n’avais pas fait le rapprochement. Je fus soudain frappé par la coïncidence : cela avait été à chaque fois que j’avais dépassé un certain seuil d’absorption de vin avec les copains que les catastrophes picturales s’étaient produites.  Edifiant ! J’ai donc juré la main sur le cœur : « sobriété et sécurité », tel serait désormais mon credo.

Augustine ne me quittait pas de l’œil et, si j’étais ravi d’avoir retrouvé ma tendre moitié, une part de moi-même commença à dépérir. J’avais de moins en moins d’appétit, je passais de longues heures à me morfondre devant l’une des fenêtres donnant sur la route nationale, comptant les voitures attendant que le feu rouge passe au vert. Et jetant de temps à autre un regard misérable sur la porte de mon atelier, hermétiquement close.

Au bout du compte, c’est Augustine qui a fini par craquer.  Elle ne supportait plus mes soupirs à fendre l’âme, mon air de chien battu, comme elle disait. Un beau matin, elle s’est plantée devant moi, les mains sur les hanches :

  • Louis, j’ai bien réfléchi. On ne peut pas continuer comme ça !

J’étais assis à la table du petit déjeuner et j’ai aussitôt arrêté de mâcher pour regarder ma femme avec inquiétude : elle n’allait pas vouloir re-divorcer, tout de même ? Je vous rassure tout de suite, elle n’est pas cruelle, mon Augustine, car elle a aussitôt ajouté :

  • Je vois bien que tu es malheureux. Peut-être qu’un sevrage total est un peu brutal. Je parle pour la peinture, bien sûr. Pour le bistrot, en revanche, on s’en tient à ce que l’on a dit.

J’ai avalé la bouchée de tartine beurrée qui était restée coincée dans ma bouche  et j’ai souri benoitement. Les copains me manquaient un peu, mais ils me regardaient toujours avec un brin de méfiance et, de toute façon, avec le Covid, les bars étaient fermés. Alors...

  • Il faut rester prudents, temporisa ensuite Augustine. Tu peux peindre à nouveau, mais nous allons choisir ensemble ce que tu peux reproduire sans risque.

J’approuvai tout de go. Elle est toujours de bon conseil, ma chère femme !

Nous fîmes une liste : exit les animaux, les éléments et même les personnages. Nous eûmes en même temps la même idée et prononçâmes d’une unique voix :

  • Des fleurs !

Je contemplais mon épouse avec un regain d’affection. Ce que c’est quand même d’avoir à ses côtés un être qui vous comprend aussi bien !

Je redevins aussitôt moi-même : gai comme un pinson et la tête pleine de projets. Je tenais un sujet qui ne présentait aucun danger et qui était totalement validé par ma femme !  Et puis, il existe une multitude d’espèces, de couleurs… Je n’avais que l’embarras du choix !

Pragmatique, je commençai par commander un épais livre de photographies de fleurs et plantes  du monde entier que je passai de longues heures à  feuilleter.

De son côté, Augustine avait repris son chiffon et son encaustique pour tenter de redonner de l’éclat à nos meubles tachés par les crottes de perruches et abîmés par le bain d’eau de mer.

Au bout de quelques jours enfin, je tombai sur le sujet idéal : coloré, étonnant et plein de vie. Une merveille, me dis-je, emballé,  une rareté offerte par mère nature. Peut-être n’avais-je pas choisi la fleur considérée comme étant la plus belle, la plus parfumée, la plus éblouissante. Mais elle était, à mes yeux la plus originale, la plus inattendue, la plus aboutie ! Comme mon Augustine ! Ce tableau serait réalisé en pensant à ma muse et je lui dis sans détours. Là, j’allais marquer un point !

Je passai la semaine qui suivit affairé comme jamais dans mon atelier. Je voulais faire une surprise totale à mon épouse et j’avais refusé de lui révéler quelle espèce j’avais choisie pour lui rendre hommage. Tant que je ne représentais que des fleurs ou des plantes, ma chère femme me faisait confiance. Je la laissai citer roses, anémones et autres orchidées ! Elle allait être fichtrement  étonnée !

Il me fallut presque une semaine de travail acharné pour parfaire mon tableau. On n’imagine pas combien peindre peut donner soif ! J’ai tenu bon, me contentant de grenadine et de limonade. Mais le dernier après-midi, tandis qu’Augustine était à la superette, j’ai ouvert une petite bouteille de blanc que j’avais dissimulée dans mon atelier. J’étais sur le point d’achever ma peinture quand je fus pris d’un léger doute. Et si, malgré tout le cœur mis à l’ouvrage, Augustine ne le trouvait pas réussi ? J’éprouvai le besoin d’être rassuré et un petit verre ne pouvait pas faire de mal !

Après mon quatrième verre, je me sentis à nouveau sûr de moi, fin prêt et j’apposai d’un geste auguste la touche finale qui donna à la toile ce petit plus qui fait la différence entre un tableau satisfaisant et une représentation plus vraie que nature.

Je considérai mon œuvre  d’un œil critique avant de le recouvrir d’un drap.

Elle était parfaite !

Demain matin, le tableau serait sec et je l’offrirai à Augustine à l’heure du petit déjeuner !

Quelle tête elle ferait !

Pour fêter ça et pour ne pas gâcher, je finis la bouteille de blanc et remis le contenant vide dans sa cachette.

Ce soir-là, je dinai de bon appétit. Augustine me lança un ou deux regards scrutateurs, mais je lui retournai un sourire angélique. J’avais totalement achevé  mon tableau et il n’y avait eu aucun problème. N’est-ce pas ?  Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Et demain matin, elle aurait la plus grande des surprises. Pour un peu, j’en aurais battu des mains de joie anticipée !

Sauf que la surprise arriva plus vite que prévu :

Cela commença par un son étrange, une sorte de frottement, de glissement appuyé qui me réveilla en sursaut au beau milieu de la nuit. Je tournai la tête vers Augustine : elle était profondément endormie et ce ne pouvait donc pas être elle qui avait fait ce bruit bizarre. Le frottement recommença, un peu plus fort, cette fois et je sentis mes cheveux se dresser sur ma tête : il y avait quelqu’un dans la salle à manger. Un bruit de chaise qui tombe fit sursauter ma femme qui ouvrit les yeux. Je posai un doigt sur ma bouche et quittai le lit pour aller chercher mon parapluie dans l’armoire. Si c’était un cambrioleur, il allait voir de quel bois je me chauffe !

Augustine murmura avec effroi :

  • Il faut appeler la police, chuchota-t-elle. Ne prend aucun risque, Louis !
  • Oui, je concédai avec une inquiétude grandissante.

Je présumai que si le cambrioleur était armé, lui aussi, ce n’était sans doute pas d’un simple parapluie.

Mais c’était bien beau de vouloir prévenir les forces de l’ordre : le téléphone était dans la salle à manger ! Tenant toujours le parapluie prêt à frapper, je m’approchai en tremblant de la porte de la chambre et l’entrebâillai pour glisser un œil inquisiteur. La lumière de l’aquarium d’Augustine était suffisante pour voir ce qui s’y passait : il ne me fallut pas longtemps pour réaliser que ce n’était pas un voleur qui était dans la pièce.  Ma première pensée fut qu’Augustine serait encore très fâchée contre moi : la salle était entièrement occupée par une gigantesque et  multicéphale « dionaea muscipula ». J’avais beaucoup aimé la photographie de cette jolie plante carnivore aux feuilles luisantes et plates, crantées comme des scies. J’avais été subjugué par  ses éclatantes couleurs rouges et vertes, ainsi que ses grands cils. J’avais pensé aux yeux de ma femme et c’était pour cette raison que j’avais peint cette variété en gros plan. Je réprimai un gémissement : pauvre de moi ! La plante carnivore s’était échappée du tableau et avait envahi chaque recoin de la salle à manger ! Usant d’une de ses tiges comme d’un tentacule, elle réussit à  ouvrir la porte du bar, engloutit d’un trait le vin cuit qu’Augustine réservait  pour les invités ;  avec une autre,  elle  éventra les paquets de gâteaux salés qu’elle avala goulument. Elle croqua même au passage la fougère installée sur le buffet bas. Lorsqu’elle plongea l’une de ses nombreuses têtes dans l’aquarium pour gober Némo, le poisson clown d’Augustine, je refermai la porte, totalement paniqué et m’y appuyai ne sachant que faire. Le cœur battant la chamade, je considérai Augustine, qui s’était extirpée du lit, les yeux exorbités par la peur, la chemise de nuit  chiffonnée et les bigoudis en bataille.

  • Alors, Louis ? voulut-elle savoir, tandis que je demeurai muet. Combien sont-ils ?

Comment allais-je bien pouvoir lui expliquer qu’une plante carnivore géante était en train de dévaster notre maison à la recherche de nourriture et que, si nous ne voulions pas figurer au menu, nous allions devoir sortir en toute hâte de la chambre par la fenêtre ?

*************

Bon, je ne vous cache pas qu’en ce moment avec Augustine, les relations sont à nouveau un peu tendues. Mais, à mon grand étonnement, ce n’est pas tant qu’une fois de plus ce que j’ai peint se soit échappé du tableau, ou que nous ayons dû fuir la maison en vêtements de nuit sous une pluie battante, ou que nous ayons écopé d’une amende pour détention illégale de plante non autorisée et potentiellement dangereuse. Non, ce qui a froissé le plus mon Augustine, c’est que j’avais choisi une plante carnivore en pensant à elle. Elle n’a pas du tout apprécié la comparaison avec ses yeux, non plus. Franchement, comprendre les femmes et leur faire plaisir, ce n’est pas toujours facile ! Même après plusieurs décennies de vie commune, nous croyons les connaitre, pourtant elles ont des réactions totalement imprévisibles.

Enfin, j’ai bon espoir de reconquérir mon Augustine ! Je ne bois plus que du lait et je ne peins plus que des plantes vertes à croissance lente.

A ce propos, si jamais l’un d’entre vous apercevait une plante d’un genre disons un peu inhabituel (environ 2.50 mètres de hauteur sur 5 mètre de largeur), avec beaucoup de têtes menaçantes au bout de tiges tentaculaires un peu énervées,  surtout ne tentez pas de l’attraper. Lancez-lui de la nourriture pour détourner son attention, prévenez la police et… courrez loin d’elle le plus vite que vous pourrez !

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article