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Bienvenue dans mon petit monde. Je dédie ce blog à tous ceux qui, comme moi, aimeraient que tout commence par " il était une fois...". De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, dit-on. Certes, mais il n'est pas aisé à accomplir. Et à quoi servirait d'écrire si ce n'était que pour soi ? Alors, je vous propose de venir découvrir des extraits de mes livres, mes nouvelles et mes poèmes. Humour, tragédie, Fantasy, j'espère que vous trouverez un univers qui vous correspond. Et n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire. SOPHIE

L'ECRIVAIN

L'ECRIVAIN

Seriez-vous prêt à tout sacrifier pour ce que vous considérez comme votre seule raison d’être ?

Accepteriez-vous de perdre ceux que vous aimez pour accomplir un rêve inassouvi ?

Moi, je l’ai fait, sans l’ombre d’une hésitation !

J’avais une famille, une vie qui comblerait le plus exigeant, j’avais un avenir. Je les ai immolés sur l’autel d’une ambition démesurée en signant un pacte avec le Diable.

Pour autant que je me souvienne, dès que j’ai découvert le pouvoir des mots,  le mal a pris possession de moi. Une passion de plus en plus dévorante, qui n’était ni le jeu, ni l’alcool, ni même les femmes, m’a consumé. Cette addiction c’était  Ecrire. Mais Ecrire pour  être universellement reconnu. Ecrire pour être adulé, admiré. Ecrire pour accéder à l’immortalité.

Très tôt, j’ai acquis la certitude que mon existence n’aurait pris tout son sens que lorsque j’aurai créé Le Roman, celui que personne n’avait jamais su ou osé écrire.

Enfant déjà, adolescent, puis adulte, chaque seconde de mon temps libre et  l’intégralité de mes nuits blanches ont été consacrées à noircir des pages et des  pages avec une frénésie grandissante. J’ai tout écrit et j’ai écrit sur tout : des contes, des récits historiques, des fictions, des romans fantastiques, des thrillers… Rien n’y faisait : je demeurais un auteur de plus, perdu  au milieu de milliers et de milliers d’autres, condamné à n’être que l’un de ces plumitifs hantant les maisons d’édition sans parvenir à sortir du lot. Je recevais ici et là  une critique élogieuse, j’avais des lecteurs fidèles, je vivais même confortablement de ma plume, mais je n’étais pas le plus grand, pas encore.

Je me mariai, devint père, achetai une villa dans une banlieue chic et menai la vie confortable qui va avec. Les années s’écoulèrent, de longues années pendant lesquelles  j’espérais toujours et encore donner au monde l’œuvre qui ferait date. Mes histoires plaisaient, divertissaient, interrogeaient, mais elles ne bouleversaient pas, elles ne révolutionnaient pas. J’étais convié à des émissions culturelles, mais je n’étais jamais l’invité d’honneur. Extérieurement, j’offrais l’image d’un homme comblé,  alors qu’au fond de moi, je n’étais qu’un puits sans fond d’amertume et de déception. Ma vie me semblait couler comme du sable entre les doigts  et je me répétais que je mourrai avant que de marquer durablement la littérature de mon sceau !

Puis, un jour, je reçus un appel sur mon téléphone portable. Une voix métallique avec un accent étranger légèrement traînant. L’homme disait se nommer Heinrich Wagner, un éditeur littéraire installé en Allemagne. Il avait lu certains de mes écrits et, conquis,  me proposait d’éditer mes livres à venir ; il ajouta qu’il me ferait une proposition que je pourrai par refuser. Mephisto Verlaghaus, tel était le nom de sa maison d’édition. J’étais bien sûr déjà sous contrat, mais qu’avais-je à perdre à rencontrer cet homme si désireux de me connaître ? J’acceptai donc le rendez-vous. Après avoir raccroché, j’allai sur Internet et découvris que Mephisto Verlaghaus n’avait en fait  publié que très peu d’auteurs. Mais alors quels noms ! Pablo Quészo, Harry Van Olsen et Vlad Kolsack ! Trois parmi les plus grands maîtres, trois parmi les élus que nul écrivain quelque peu lettré ne citait sans émerveillement ou envie. J’étais devenu si impatient de connaitre cet éditeur d’exception favorablement impressionné par mes dons littéraires que je peinai à trouver le sommeil en attendant l’entrevue prévue deux jours plus tard : nous étions convenus de nous rencontrer dans un restaurant de la Place Vendôme.

Le jour J arriva enfin. Je me rendis à l’Espadon avec une demi-heure d’avance et une agitation fiévreuse. Une table pour deux avait été effectivement réservée au nom de Monsieur Wagner. On me conduisit jusqu’à une magnifique verrière art déco à l’atmosphère chic et feutrée.  Peu de tables étaient occupées et les rares convives s’exprimaient avec réserve et discrétion.  L’éditeur était déjà présent, installé dans un fauteuil confortable et il se leva aussitôt à ma vue. Je ne fus pas surpris qu’il me reconnût, ma photographie occupant chaque quatrième de couverture de mes ouvrages. L’homme était de taille moyenne, portait le cheveu clair et un costume anthracite d’une sobriété quasi monacale. Son visage, plutôt  banal, serait presque passé inaperçu si son regard bleu pâle n’avait été transperçant comme une lame. Nous échangeâmes une poignée de mains, la sienne était si glacée que je fus saisi.  Il me tendit sa carte de visite : un bristol au logo de sa maison d’édition et  dont l’angle supérieur droit portait un M rouge et noir. Nous prîmes place l’un en face de l’autre, tandis que mon hôte commandait deux verres de vin blanc. Un silence inconfortable s’éternisa  au départ du serveur. Mon vis-à-vis me scrutait avec attention, un léger sourire flottant sur ses lèvres minces. J’eus l’impression désagréable qu’il lisait en moi jusqu’aux tréfonds de mon âme. Je tentai de reprendre l’avantage :

- Ainsi, vous avez lu mes livres, Monsieur Wagner ? demandai-je, tandis qu’un sommelier stylé nous versait notre apéritif dans de hauts verres de cristal.

L’éditeur hocha la tête en accentuant son indéchiffrable rictus. Encouragé, je poursuivis :

- Je ne connaissais pas votre maison d’édition. Mais j’ai découvert combien  les rares heureux élus sont prestigieux.

Heinrich Wagner acquiesça :

- Oui, nous n’éditons que les œuvres les plus… puissantes, celles dont on dit qu’elles sont inoubliables. Or, je pense que vous êtes un écrivain dont le potentiel est largement sous-exploité.

J’affichai sciemment un air cynique - tout en savourant le compliment - objectant pour la forme :

- Et si vous me surestimiez ? J’écris depuis de nombreuses années et je ne sors pas vraiment du lot. La presse me suit, mais ne m’encense pas plus que la moyenne. J’ai un lectorat assidu, mais pas plus étoffé que beaucoup d’autres auteurs contemporains.

- Croyez-vous donc que vendre en masse soit une preuve de qualité ? riposta alors mon vis à vis.

- Certes non ! me défendis-je aussitôt.  Mais alors, que pensez-vous pouvoir offrir de plus que mon actuelle maison d’édition ?

- Tout simplement la consécration suprême : l’immortalité de votre œuvre ! Vous ne serez plus un écrivain parmi d’autres, vous serez l’Ecrivain. Je sais que vous êtes à même d’écrire l’histoire parfaite, le conte qui surpassera l’Iliade et l’Odyssée ou pourquoi pas la bible ! Il vous manque simplement un mentor, quelqu’un qui croit en vous plus que quiconque. Je vous guiderai, je vous conseillerai et vous vous surpasserez, croyez-moi !

De saisissement,  je demeurai mutique, mais mes yeux parlaient certainement pour moi. Ce parfait inconnu me proposait purement et simplement de faire que mon rêve le plus fou devînt une réalité !  Il me proposait la célébrité ultime, celle que j’avais sans cesse et si désespérément recherchée ! C’était trop beau pour être vrai ! Je considérai l’éditeur soudain avec défiance : se pouvait-il qu’il se moquât de moi ?  Anticipant mon éventuelle incrédulité, Wagner leva une main apaisante et je vis briller à son annulaire droit une imposante bague d’argent portant la même lettre bicolore que le bristol. Il reprit :

- Puisque vous êtes allés sur notre site internet, vous avez pu y lire les noms d’écrivains devenus mondialement célèbres, n’est-ce pas ? Non pas parce qu’ils ont vendu le plus d’exemplaires, mais parce que leurs livres ont profondément marqué leurs contemporains. Ils sont aujourd’hui cités comme des références. Or, je pense sincèrement que votre nom fera bientôt oublier les leurs.

J’eus le vertige devant une confiance dans mes talents si ouvertement affichée :

- Qui vous fait croire que je saurai faire mieux qu’eux ?

Wagner saisit délicatement son verre par le pied, le souleva haut pour porter un toast, ce qui fit scintiller sa lourde bague. Il dégusta une gorgée du vin doré avec un plaisir évident,  avant de rétorquer :

- Parce que vous êtes prêt à tout pour accomplir votre destin. Et votre destin, Monsieur Fauste,  est d’écrire Le Livre que je vais vous commander.

Le ton était tellement persuasif que je fus convaincu sur l’instant que la roue avait enfin tourné. Je m’épanouis et levai mon verre à mon tour, goûtant pleinement cet instant. Un doute vint pourtant assombrir ma joie soudaine :

- Mais je suis toujours sous contrat avec mon éditeur et ce, pour plusieurs années encore. Comment…

Wagner balaya mes inquiétudes d’un geste négligent :

- Laissez-moi gérer ces tracasseries administratives pour vous. Consacrez-vous entièrement et uniquement à ce qui sera l’accomplissement de votre vie, Monsieur Fauste. Je me charge du reste.

Je signai le contrat avant même la fin du repas : un à-valoir considérable et la liberté de choisir le sujet du livre avaient achevé de chasser mes dernières réticences. Et, comme le souhaitait Heinrich Wagner, j’étais bien décidé à consacrer la moindre parcelle de mon énergie à donner vie à  ce qui serait mon chef d’œuvre. Méphisto Verlaghaus n’avait qu’une seule exigence notable : je devais rendre le manuscrit dans exactement un an jour pour jour. C’était une condition  sine qua non. Si je dérogeais d’une seule journée, je devrais restituer l’intégralité de l’avance et renoncerais à tous droits sur mon  livre. Wagner m’assura qu’il serait là pour veiller à ce que tout s’accomplisse sans que nous en arrivions là. Si j’avais alors lu entre les lignes, j’aurais compris que j’avais encore bien plus à perdre,  que j’étais moi-même déjà perdu !

Qui n’a jamais écrit ne peut connaitre véritablement les affres de la page blanche. Moi qui, pendant des années, avait inlassablement rempli des milliers de feuilles de ma prose, je passai les jours qui suivirent ce premier entretien à scruter avec anxiété l’écran vierge de mon ordinateur. Pour la première fois de mon existence, l’inspiration me fuyait. Le chant des oiseaux, la voix de Margaux, ma femme, jusqu’au  rire de mes fils, tout  m’insupportait. Pendant des semaines, je rédigeai puis détruisis d’innombrables amorces d’écriture. Comme annoncé, Wagner vint me rendre visite, mais je n’avais rien à lui montrer. Il ne me fit aucun reproche, m’interrogea sur le thème que je souhaitais aborder. Je n’avais toujours rien décidé. En fait, je croyais ne plus jamais pouvoir écrire et cette terreur inédite me paralysait. Avec tact, l’éditeur me proposa des sujets, orientant avec subtilité celui auquel j’allai désormais me vouer corps et âme. Lorsqu’il quitta mon domicile, j’étais l’objet d’une fièvre nouvelle. Il avait su trouver pour moi le thème idéal, évident, terrible : la fin de l’humanité. J’imaginai le monde en proie à une maladie mortelle gagnant chaque continent, chaque pays,  chaque ville ; une maladie terriblement contagieuse contre laquelle nul ne trouverait le remède. Confinement, isolement, rien n’y ferait, la pandémie se répandrait, inexorable, implacable. J’écrivais jour et nuit, j’avais perdu le sommeil, l’appétit, tout entier à mon sombre récit.

Margaux me considérait avec une inquiétude qu’elle ne chercha bientôt plus à me dissimuler. Elle finit même par m’avouer que Wagner lui faisait terriblement peur. Qu’à chacune de ses visites,  elle me trouvait un peu plus changé. Je refusai de l’écouter et, afin de ne plus entendre ses craintes ou de ne plus croiser les regards apeurés de mes fils, je décidai de quitter la maison. Wagner approuva mon besoin de solitude lorsque je lui en fis part. Il se chargea de louer pour moi une maison isolée où je pourrai jouir d’un silence absolu. Lorsque j’expliquai mes projets à ma femme, elle m’adjura de renoncer au livre, affirma craindre pour ma santé physique et morale. Je m’obstinai malgré ses larmes et allai même jusqu’à refuser de lui révéler l’adresse où je me rendais, craignant qu’elle ne me rendît visite. Je ne souffrais nul obstacle à mes ambitions. J’emportai néanmoins mon téléphone portable, afin de pouvoir lui donner de mes nouvelles et d’en prendre de ma famille. Mais je quittai mon domicile comme un voleur, en pleine nuit, alors que tous dormaient. Lorsque je refermai la porte d’entrée, j’eus brièvement la certitude que je ne reverrai plus jamais les miens. Pourtant, je ne tournai pas la tête, je ne fis pas demi-tour et me rendis directement dans les Landes où mon destin m’attendait.

Demain, cela fera un an, jour pour jour que j’ai croisé la route de Wagner. Comme une araignée, ce dernier a patiemment tissé sa toile. Il me rend visite chaque mois pour vérifier l’état d’avancement de sa commande. A chaque fois, mon effroi grandi. Car je sais aujourd’hui que le Diable existe. Pablo Quészo, Harry Van Olsen et Vlad Kolsack, dont j’ai découvert trop tard qu’ils ont quitté ce monde  dès que le mot fin a ponctué leurs livres respectifs, avaient eux aussi signé un contrat avec lui. Comme moi, leur égo démesuré a causé leur perte.  Ma propre mort mettra le point final à mon manuscrit. Le Livre se nourrit de moi, à  chaque page écrite, je faiblis un peu plus.  Mon seul regret est de n’avoir pu dire à Margaux et à mes fils combien je les aimais. J’ai jeté mon téléphone portable depuis longtemps. Peut-être est-ce mieux ainsi : ils conserveront de moi l’image de l’homme que j’étais.  Inconscient de son bonheur et courant derrière une obsession qui s’est, depuis,  transformée en cauchemar.

Le Livre qui marquera l’humanité à jamais est enfin achevé : je savais depuis toujours que je serai celui qui l’écrirait. Il a pour titre : LA PANDEMIE.

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