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Bienvenue dans mon petit monde. Je dédie ce blog à tous ceux qui, comme moi, aimeraient que tout commence par " il était une fois...". De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, dit-on. Certes, mais il n'est pas aisé à accomplir. Et à quoi servirait d'écrire si ce n'était que pour soi ? Alors, je vous propose de venir découvrir des extraits de mes livres, mes nouvelles et mes poèmes. Humour, tragédie, Fantasy, j'espère que vous trouverez un univers qui vous correspond. Et n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire. SOPHIE

LA CLEF

LA CLEF

LA CLEF

- Je soussignée, Suzanne Marceline Michaud, saine de corps et d’esprit,  lègue tous mes biens à mon petit neveu François Michaud…

Que ma grand-tante Suzanne ait fait de moi son légataire universel m’avait quelque peu surpris. Je ne lui avais guère rendu visite ces dernières années. C’était une vielle originale qui avait fini ses jours dans un minuscule meublé parisien dont elle n’était même pas propriétaire. Elle  ne devait pas être bien riche. Mais ma femme m’avait aisément convaincu qu’il n’y avait pas grand risque à accepter le moindre legs d’où qu’il vienne. En attendant la date du rendez-vous fixé par le clerc qui m’avait contacté,  je m’étais alors amusé à imaginer ce dont je pourrais bien hériter : un carnet de Caisse d’Epargne raplapla ? Quelques vieux meubles moisis ?  Une collection de bibelots démodés ?

Maître Laloi  acheva sans hâte la lecture du testament : en résumé, les frais de succession seraient - tout juste -  couverts par la vente du peu d’Avoirs que possédait la défunte. Je haussai les épaules et m’apprêtai à prendre congé, lorsque le notaire me tendit une grande enveloppe brune en précisant avec componction :

- Par le présent codicille, votre grand-tante a émis le souhait que je vous remette ceci.

Je soupesai, puis déchirai l’enveloppe pour en extraire le contenu.

- Une clef ? constatai-je avec surprise. Mais qu’ouvre-t-elle donc ?

Je sentis mon cœur s’emballer : je visualisai soudain un coffre-fort, une maison de campagne cossue, une lourde cassette remplie de Louis d’Or.

- L’appétit ! répondit la voix sèche du notaire, me ramenant brutalement à la réalité.

Je sursautai :

- Comment ça l’appétit ?

Maître Laloi ne se départit pas de son flegme :

- Vous êtes désormais l’heureux propriétaire d’une clef qui ouvre l’appétit.

Puis il referma son dossier en arborant tous les signes de la satisfaction du devoir accompli. Je le sondai du regard un instant, mais son air solennel me convainquit qu’il n’était pas en train de s’adonner à une plaisanterie de mauvais goût.  Il se leva tranquillement pour mettre un terme à l’entrevue,  contourna son bureau afin de  m’aider à enfiler mon pardessus.

- Et comment fonctionne-t-elle exactement cette… clef  extraordinaire ? m’enquis-je avec un sourire narquois, tandis qu’il me conduisait vers la sortie.

- Ah, ça ! déplora l’homme de loi. Votre grand-tante n’a pas jugé utile de le préciser. 

Soit Suzanne était devenue sénile, soit elle avait trouvé amusant ce moyen douteux destiné, je présumai,  à me faire comprendre, depuis l’Au-Delà, que je n’avais pas été un neveu très prévenant.

- Je dois avouer que ce n’est pas banal,  ajouta le notaire, comme en réponse à mes pensées.

Puis, il  me claqua  la porte au nez, sans me laisser le temps de l’interroger plus. Je fis quelques pas dans la rue,  mon dérisoire héritage à la main.  Je m’arrêtai pour examiner la clef  à nouveau : fabriquée dans un acier mat, elle était composée d’un anneau plat sans fioritures et d’une tige pleine, longue et légèrement tordue.  Elle n’avait vraiment rien de bien remarquable, si ce n’est qu’elle devait être assez ancienne. Je me demandai si elle intéresserait un brocanteur. Mais j’en doutais car, à mon humble avis, elle  était d’une facture plutôt grossière.

- Pardon ? fit une voix aigrelette. Non mais tu t’es bien regardé ?

Je me retournai pour savoir qui avait parlé, mais la rue était vide.

- Qui est là ? demandai-je toutefois, pensant avoir été le jouet de mon imagination.

- Moi, bougre d’idiot, repris la voix fluette.

Je scrutai de tous côtés sans parvenir à découvrir qui se moquait ainsi de moi. La petite voix acide reprit :

- Tu m’as traitée de grossière, je peux bien te taxer d’idiotie !

Je n’osais d’abord comprendre, mais mon regard finit par glisser malgré moi sur l’objet que je tenais toujours fermement dans la main droite : au cœur de l’anneau plat, deux petits yeux,  un nez minuscule et une bouche mutine étaient apparus. J’étouffai un cri et, de saisissement, laissait tomber la clef sur la chaussée.

- Ouille, couina-t-elle. Ça va pas, non ?

Je tentai de reprendre mes esprits : avais-je des hallucinations ?  

- Bon, s’impatienta la clef, tu ne vas pas me laisser dans le caniveau, tout de même !

Je tentai de réfléchir calmement et posément : je devais être en train de dormir et j’étais en train de rêver, tout simplement.  Je ramassai la clef qui me fixa de ses petits yeux ronds coléreux en ronchonnant :

- Que vous êtes prévisibles, vous les humains ! Sceptiques, méfiants ! Mais il y en a eu certains avec qui je me suis bien amusée ! Avec Suzanne, par exemple. Quelle Messaline elle fut ! Et maintenant, qu’allons-nous faire de toi ?  

 Je me souvins alors que mon père avait un jour prétendu que, malgré un physique ingrat,  Suzanne avait eu des tas d’amants dans sa jeunesse et  que  certains hommes s’étaient même ruinés ou  battus en duel pour elle. 

- C’est la stricte vérité, confirma la clef. Je lui ai offert une sacrée revanche sur mère nature, n’est-ce pas ?

Je sursautai :

- Tu peux lire dans mes pensées ?

La clef arbora un air rusé :

- Et comment crois-tu que je puisse combler les appétits ? Il  y en a certains que vous n’osez pas avouer tout haut !

Je pris le parti de m’asseoir sur le trottoir : cela faisait beaucoup d’informations insolites en peu de temps, même pour un rêve.

- Lorsque tu dis combler les appétits, cela signifie-t-il exaucer les souhaits ? Tu es un génie ou une fée ?

La clef eut un sourire moqueur :

- Voyons, François, tout ça c’est du Folklore. Disons que je suis une sorte de coach amélioré, la clef de la réussite dans le domaine qui intéresse mon possesseur : le travail, l’amour, le pouvoir, etc…  Par quoi commençons-nous ?

Je contemplai le bout de métal parlant avec un intérêt nouveau :

- Donc, tu saurais, par exemple, m’aider à réussir dans mon travail ?

La clef confirma :

- Enfantin ! Si c’est cela que tu souhaites le plus au monde !

Oh, que oui ! Cela faisait des années que Gilbert Despotes, mon chef de service, me tyrannisait et m’empêchait de gravir les échelons. Avais-je enfin le moyen d’inverser le cours des choses ? 

- Et que dois-je faire ? m’enquis-je alors.

La clef me fixa, une étrange lueur dans les yeux :

- Je m’occupe de tout. Tu n’as qu’à penser ou dire ce que tu désires plus que tout et je me charge du reste. La seule condition est que tu taises mon pouvoir aux autres et que tu me gardes avec toi constamment. Sinon, les conséquences pourraient être désastreuses.

Après tout, qu’est-ce que cela me coûtait d’essayer ?  La contrepartie ne me paraissait pas trop lourde. J’entrai chez un bijoutier, achetai une chaîne d’argent, afin d’y accrocher la clef, puis me passai la chaîne autour du cou. J’ignorais alors que je venais de  signer un pacte avec le diable, que j’avais ouvert la boîte de Pandore…

Oh, au début, ce fut comme un rêve. J’évinçai cet arriviste de Despotes avec une facilité déconcertante, grimpai les échelons quatre à quatre en écrasant à mon tour sans vergogne les collègues qui se trouvaient sur ma route. Je devins très vite la valeur montante de mon entreprise. Mes collègues se défièrent vite de moi, ils m’évitaient, chuchotaient derrière mon dos. Que m’importait, une ambition que je n’avais encore jamais éprouvée,  avait pris possession de moi.  Un beau matin, à l’issue d’un conseil d’administration houleux, j’atteignis mon but : j’évinçai le Président  Directeur Général et m’installait dans son fauteuil. A la même époque, ma vie privée évolua, elle aussi. Ma femme, surprise, puis inquiète de me voir toujours porter une lourde clef autour du cou, me pressait de questions. Au lieu de se réjouir de ma réussite professionnelle, elle n’arrêtait pas de me répéter que j’avais changé, qu’elle ne me reconnaissait plus. Un jour,  je songeai qu’elle n’était pas celle qui convenait à un battant comme moi et j’eus le désir de me trouver une compagne à ma mesure. Je divorçai sans état d’âme et, grâce à la clef, me remariai peu après avec une femme superbe et très en vue. Ma seconde épouse  finit par me lasser, elle aussi et je divorçai à nouveau pour épouser  une femme encore plus connue. J’étais devenu riche, célèbre  et puissant.

Le pouvoir de la clef était donc sans limites, ou presque.

Dix années étaient ainsi passées en un éclair. Un après-midi,  une manifestation obligea mon chauffeur à emprunter une route inhabituelle. Ma limousine passa devant un grand parc. Une famille pique-niquait : le père, la mère et leurs trois enfants. Tous riaient, simplement heureux parce qu’ils étaient ensemble. Je ne me souvenais plus quand - pour la dernière fois - quelqu’un m’avait souri ou simplement regardé avec affection. Je  réalisai que j’avais oublié ce qu’était le bonheur. Même s’ils ne le montraient pas ouvertement,  mes concurrents me craignaient sans me respecter. Je n’avais plus d’amis, seulement des relations. Ma femme ne voyait en moi qu’un tremplin pour ses propres ambitions. Je n'avais pas d'enfant, pensant qu'il serait un obstacle à ma carrière. J'étais seul au monde.

Je crus alors qu’il me suffisait de souhaiter le bonheur. Je le fis avec ardeur, mais la clef resta muette.

Je compris alors quel était le prix à payer pour bénéficier de ses bienfaits : c’était justement du bonheur enlevé à ses proies qu’elle se nourrissait.

De désespoir,  je rompis  la chaîne et jetai la clef dans un coffre. En une seule journée, je perdis tout : mon entreprise, mon argent, puis ma femme qui me quitta pour un autre.

Le rêve a tourné au cauchemar : j'habite un appartement minuscule et sans confort. Dans quelques jours, faute de payer mon loyer, je vais me retrouver à la rue. Mais ce n'est pas là ce qui me terrifie le plus : je n’ose plus avoir le moindre souhait pour quoique ce soit, sinon de n’avoir jamais héritée de cette clef maudite. Cent fois, j’ai essayé de m’en débarrasser, de la jeter dans une rivière,  à la mer, au feu. Toujours elle m’est revenue, dans ma boite à lettres, sur le paillasson, sur ma table de chevet à mon réveil.  

Je sais que seule la mort me délivrera d’elle.

Mais avant, une seule chose reste à faire,  : mon testament.

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