LE RÉCIT D'EWÉ

30.09.2020

Un mal impardonnable a été commis voilà longtemps, un mal pour lequel les responsables n’ont pas fini de payer.

Il y avait, en ces lieux, une famille de meuniers : le père, la mère et quatre enfants : trois filles et un fils.

Le moulin appartenait alors au Seigneur Erragh’, souverain respecté de l’Argoas ; la dîme exigée permettait à cette famille de mener une vie simple, mais heureuse.

Jusqu’au jour où, un autre roi − un Reg de Fer − décida que les dîmes lui étaient toutes dues, car il convoitait ces terres.

Une déclaration de guerre et une invasion par ses troupes assoiffées de sang n’étaient que des détails pour lui. Ses guerriers déferlèrent par centaines, puis par milliers, comme des nuées de sauterelles sur les récoltes.

Ils gagnèrent des batailles, mais cela ne leur suffisait pas : ils broyèrent ceux qui résistaient encore à l’envahisseur et parfois aussi ceux qui ne résistaient pas, laissant les champs et les villages dévastées aussi loin que porte la vue.

Ainsi, il n’y eut aucune pitié pour les meuniers et leurs enfants : une petite troupe, avide de violence et de destruction, surprit la famille un matin à son réveil.

Le père fut pendu à la roue de son moulin, les guerriers pariant sur les chances qu’il avait d’être d’abord étranglé ou noyé ; tandis que sa femme et ses trois filles étaient torturées, puis tuées par les vaillants guerriers venus des Toal Gahn.

Le petit garçon fut, quant à lui, jeté vivant dans le brasier qu’ils avaient fini par allumer dans le moulin.

Enfin, ils repartirent en riant et en chantant.

Contre toute attente, le petit garçon survécut, car il n’était pas tout à fait comme les autres.

Dès son plus jeune âge, il avait manifesté un don très particulier : il entendait une Voix, une Voix issue de l’Eau tombant du ciel et de celle venant des profondeurs de la terre ; il communiquait aussi avec certains animaux aquatiques.

Alors, il avait appelé à lui la rivière qui alimentait la roue du moulin.

Tout son corps était atrocement brûlé et il aurait dû mourir.

Certes, il souffrit plus qu’il n’est permis des jours et des jours durant.

Mais la vie demeura chevillée à son corps, car un désir l’animait, un désir plus fort que tout, plus fort même que la mort : la Vengeance !

La voix de l’Eau le guida ; les habitants de la rivière, poissons et plantes le soignèrent et le nourrirent. Petit à petit, la douleur sans nom finit par s’estomper, puis par disparaitre totalement ; la difformité, elle, demeura, mais cela n’avait aucune importance : il ne voulait plus faire partie des humains, capable d’atrocités que les animaux les plus féroces ne sauraient accomplir.

Il s’est octroyé un nouveau nom pour se dissocier de son ancienne vie : Ewé, l’Eau, en Argoassite.

Et c’est ainsi qu’il a toujours vécu, se tenant loin des hommes et de leur sauvagerie, protégé par le Royaume qu’il s’est créé.

Car il a su ériger un monde idéal, fait pour lui.

Tous au village croient la mare immobile, silencieuse et hantée seulement par des Esprits.

Ils l’appellent Ewen Merat « les Eaux Mortes ».

Mais, en réalité, elle abrite toute une communauté, puissante et pleine de vie.

Il suffit de quelques illusions pour tenir les importuns éloignés ou supprimer ceux qui pourraient représenter un danger.

Les corps des ennemis d’Ewé ont régulièrement nourri les Eaux Mortes.

A Trem Fell, tous croient le moulin oublié des Dieux, alors que c’est un fils des Dieux qui y siège, omnipotent et chargé d’une mission !

EXTRAIT DE LA LEGENDE DU NORSGAAT - LIVRE III : L'EAU, EWE.