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Bienvenue dans mon petit monde. Je dédie ce blog à tous ceux qui, comme moi, aimeraient que tout commence par " il était une fois...". De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, dit-on. Certes, mais il n'est pas aisé à accomplir. Et à quoi servirait d'écrire si ce n'était que pour soi ? Alors, je vous propose de venir découvrir des extraits de mes livres, mes nouvelles et mes poèmes. Humour, tragédie, Fantasy, j'espère que vous trouverez un univers qui vous correspond. Et n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire. SOPHIE

STATUES

STATUES

J’eus soudain très envie de revoir la maison ; la visite à l’agence immobilière située à quelques kilomètres attendrait bien jusqu’au lendemain. Je redémarrai la voiture et, deux minutes plus tard, j’atteignais le chemin de terre herbeuse encadré d’arbres tordus et qui, juste avant la sortie du village, conduisait à la maison. La grille haute et rouillée, attachée par une chaîne cadenassée se dressa au détour de l’unique virage. De chaque côté, sur des piliers de pierre, deux molosses sculptés se faisaient face, mais au lieu du regard terrible et des crocs agressifs que l’on s’attend à voir sur de tels gardiens, ils arboraient une tête plutôt sympathique, leur gueule entrouverte laissant voir, pour l’un, une langue pendante et, pour l’autre, une balle. La vieille boîte à lettres en bois un peu branlante débordait de courriers et de publicités. Je peinai à débloquer le cadenas, puis j’ouvris les grilles en grand, afin d’entrer dans le parc avec la voiture. Je suivis lentement l’allée gravillonnée, les sculptures m’apparaissant l’une après l’autre, comme par magie.

Je connaissais bien sûr par cœur les figurines de pierre, que le temps avait patinées :  le gamin qui sifflait une main dans la poche debout à côté du premier chêne, un renard à la mine futée, allongé négligemment dans une pose quasi-humaine sur une petite roche moussue, un héron à lunettes scrutant d’hypothétiques fonds à gauche du vieux banc en pierre, une grenouille géante affublée d’une couronne coassant silencieusement sur un muret et enfin, juste devant la maison, une vasque en forme de coquille Saint-Jacques avec un poisson gigantesque aux nageoires démesurées et dont, par le passé, la bouche crachait de l’eau avec un son joyeux, dès les premiers beaux jours. Petit, j’adorais jouer avec les éclaboussures de la fontaine et c’est bien souvent trempé jusqu’au cou que je rentrais à la maison : ma mère ou ma tante me grondait pour la forme, puis m’envoyait me changer. Mais aujourd’hui, il n’y avait plus de bruit d’eau ; la coupe était verdâtre et envahie par les feuilles mortes.

.../...

Je ressortis dans le jardin, allai récupérer un des trousseaux de clés dans la voiture et, longeant un côté de la maison, je suivis l’étroit sentier, ponctué de statuettes d’animaux, qui serpentait jusqu’à l’atelier. Je croisai ainsi un loup, se dressant sur ses pattes arrières en hurlant à la lune, une biche portant un arc et un carquois, la tête dressée comme à l’affût, un ours posant debout et en habit, un petit cheval de manège ruant et, juste à la porte, un hibou avec bonnet de nuit, assoupi sur sa branche, un livre entr’ouvert à côté de lui. L’atelier était verrouillé comme à l’habitude mais, après quelques essais infructueux, je trouvai la clé qui ouvrit la porte. Je respirai un grand coup, puis j’entrai : les toiles d’araignées avaient trouvé ici un terrain libre et occupaient largement l’espace. Quelques grands outils étaient accrochés aux murs et recouverts d’une épaisse couche de poussière. Dire qu’il y avait presque quinze ans que personne n’avait franchi le seuil de cet endroit ! Ces dernières années cependant, j’avais émis une fois ou deux le souhait d’y retourner, mais Rose avait prétendu avoir égaré la clé. Je ne l’avais pas vraiment crue, mais par peur de lui faire de la peine, je n’avais pas osé insister. Je jetai un regard circulaire sur les bas-reliefs en bois travaillé, accrochés çà et là : il me semblait me souvenir qu’ils étaient les premiers essais de sculptures de mon grand-père ; ils représentaient des scènes animalières : je les avais oubliées depuis tout ce temps et, les redécouvrant, je les jugeai assez réussies. Puis, me dirigeant vers l’établi, je me figeai brusquement en remarquant une silhouette dressée juste devant: elle était invisible depuis l’entrée et les fenêtres à cause du mur d’angle et avait été dissimulée sous un vieux drap que la poussière avait rendu grisâtre. J’enlevai celui-ci, produisant un léger nuage et je mis à jour une petite statue blanche qui m’arrivait à l’épaule. Ainsi, c’était donc ce que la mort avait empêché mon grand-père d’achever ! On identifiait clairement qu’il s’agissait d’une femme : les traits du visage étaient seulement dégrossis, mais la forme amorcée de la tête, ainsi que la longue chevelure bouclée et la silhouette ne laissaient aucun doute. Le corps présentait des attaches d’une finesse extrême, une taille gracile et un port de tête altier. La femme avait été immortalisée revêtue d’une robe qui paraissait faite d’un tissu arachnéen et dont le fin plissé accentuait encore l’impression de fragilité de l’ensemble, comme si la force s’était concentrée surtout dans la longue chevelure, surprenante de vigueur et de consistance.

Je restai immobile quelques secondes, fasciné. Mon grand-père n’avait, à ma connaissance, qu’une seule autre fois représenté un être humain et ce que je voyais-là était une petite merveille de délicatesse. Je n’étais pas un spécialise en art, loin de là, mais j’étais touché par ce mélange de grâce et de féminité ; je songeai qu’il avait vraiment du talent, or je ne me rappelais pas que quelqu’un de notre famille le lui ait jamais clairement dit. Instinctivement, je tendis la main pour caresser le poli de l’épaule fine. La douceur froide de la pierre était agréable au toucher et je songeai que j’aurais bien aimé savoir quel visage cette Tanagra aurait eu !

EXTRAIT DU ROMAN LA GARDELLE.

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